Paris-Manchester 1918
Conservatoires in time of war
Recreating a “community”
Although this long letter is fascinating in many ways for what it tells us about the life of the composer Pierre Tesson, a former pupil of Charles-Marie Widor at the Conservatoire (and winner of the first prize for harmony in 1911, first prize for counterpoint in 1913 and first certificate of merit for fugue in 1914), what is especially interesting here is Tesson’s description of the social life of musicians at the front.
One of the challenges facing men during this long war was to build new “communities” for themselves. Far from their friends and families, the soldiers created new forms of social life. Pierre Tesson’s account confirms the theses of the historians Nicolas Mariot and André Loez on social relationships at the front:[1] the war reproduced the social structures of pre-war civilian society. In particular, the intellectuals generally did not mix with the rest of the men, and their “primary groups”[2]consisted of other intellectuals and the regimental officers. Pierre Tesson’s language could not be clearer: “some company officers – men of letters, artists, even musicians – made very agreeable companions”.
At the rear, in the barracks, the regimental musicians met the head doctor and conversed around a Pleyel, which gave Tesson the opportunity to meet his camarades from the Conservatoire again. The term camarade [classmate or comrade] is perfectly appropriate here, applying as it does both to academia and to the army: the musicians are camarades in a double sense, as comrades-in-arms and as former fellow students.[3]
In a less calm period, social relationships become more difficult to maintain (bottom of the second paragraph). In addition to their role as stretcher-bearers, which involves searching for wounded on the front lines between two attacks, the musicians contribute to maintaining the “excellent morale” of the troops and providing them with entertainment. In other words, music is a means of coercion, since the real effect of keeping morale up is to make soldiers forget their daily ordeals in the trenches.
[1]See the bibliography.
[2]Anne Duménil (2004) “Les combattants”, in Stéphane Audoin-Rouzeau and Jean-Jacques Becker (eds.) : Encyclopédie de la Grande guerre 1914-1918. Histoire et culture, Paris, Bayard, p. 321-338.
[3]Charlotte Segond-Genovesi (2009) “De l’Union sacrée au Journal des débats: une lecture de la Gazette des classes du Conservatoire (1914-1918)”, in Stéphane Audoin-Rouzeau et al. (eds.), La Grande Guerre des musiciens, Lyon: Symétrie, p. 178.
Facsimile
Transcript (FR)
Note : les lacunes (indiquées en italique entre crochets) ont été complétées grâce à la lettre autographe conservée à la Bibliothèque nationale de France, département de la musique, Rés Vm Dos 88 (6), folios 152-153.
TESSON Pierre (Widor[4]) Musicien
29 Janvier 1916
Quelle charmante pensée vous avez eue[, Mesdemoiselles[5],] en vous donnant la peine de prendre des nouvelles de vos camarades et de nous les communiquer – C’est une idée à laquelle je ne suis pas étonné de voir que M. Blair Fairchild[6] s’est associé – Je n’ai pas encore eu le plaisir de lui être présenté, mais mon ami Feuillard m’a déjà fait connaître toute sa sollicitude généreuse pour les musiciens français.
J’ai été mobilisé dès le début de la guerre au [119e d’Infrie[7]] comme brancardier – j’ai pris ma part aux comba[ts de Charl]eroi[8] et de Guise[9], me perdant pendant la retraite, même passant pour mort ! – après la Marne[10], mon régiment se trouvant dans un coin tranquille, j’ai connu des heures charmantes – quelques gradés de ma compagnie : lettrés, artistes, même musiciens, me faisaient une agréable société, mon gourbi[11] fut un temps le dernier salon où l’on cause, aussi, dans un beau coin de nature, tranquille, à un niveau intellectuel élevé, ai-je pu aisément écrire quelques petites pièces musicales, pour piano à quatre mains, deux piano[s et] violoncelle, et même orchestre – Le dimanche, lorsque nous étions au repos, le médecin divisionnaire réunissait à son ambulance les musiciens d’alentour, et sur un beau Pleyel, nous faisions des bombances musicales de choix – C’est là que j’ai eu le plaisir de retrouver Cloës[12], que j’avais connu en classe d’accompagnement, et quelques autres, dans le civil musiciens des orchestres Colonne, et Chevillard[13] de l’Opéra-Comique – Puis est venue l’offensive de mai 1915[14] – la grande ! Là notre régiment étant de la fête, mon genre de vie s’est quelque peu modifié – adieu la musique, adieu les longues dissertations artistiques et littéraires sous les pins ou dans le cabinet de travail champenois de notre vénéré maître Théodore Dubois[15] ! Le métier de brancardier alors très dur, et extrêmement dangereux – Je ne regrette pas cette épreuve – je lui dois de porter depuis le 11 juillet 1915 – la croix de guerre –, distinction qui m’a été accordée par notre colonel pour avoir soigné les blessés de ma compagnie, à moi seul sous un bombardement violent qui dura 96 heures sans répit – au sortir de cette passe, j’ai eu le bonheur d’être pris à la musique du régiment – il serait exagéré de dire que nous sommes parfaitement tranquilles – lors de la dernière offensive (en septembre) il nous a fallu reprendre le dur métier des brancardiers, et nous avons connu de nouveaux jours d’horreur, mais enfin nous sommes en général occupés à pr[é]parer, lorsque le régiment est en tranchées, les concerts destinés à distraire les combattants et à contribuer à leur excellent moral, concerts que nous donnons pendant les périodes de repos – Fort intéressants ces concerts et très suivis – notre chef, excellent musicien, compose des programmes extrêmement attachants où les noms de Saint-Saëns, Massenet[16], Reyer, Delibes[17], Charpentier ou Büsser[18] voisinent avec ceux des grands classiques. Entretemps, lorsque nous trouvons des instruments à cordes, nous en abusons avec volupté – C’est ainsi qu’ayant écrit une Fantaisie pour piano et orchestre, j’ai eu la joie d’en diriger une lecture à l’orchestre symphonique complet – Fourestier[19] se trouve fréquemment notre voisin, et nous fait souvent le grand plaisir de se joindre à nous pour jouer au piano quelques partitions – Comme vous voyez la musique ne nous manque pas.
J’ai terminé dernièrement un poème symphonique (d’après La Sieste de Heredia[20]) pour l’harmonie, qui m’avait été demandé par le chef, et pour lequel notre chef m’a fait le grand plaisir de me céder la baguette.
Vous demandez des anecdotes, ma lettre est déjà si longue que je n’ose abuser davantage de votre complaisance – je vous en conterai quelque jour, si vous voulez bien – Je veux vous dire simplement que mon moral est excellent – les permissions y sont pour beaucoup ; elles m’ont permis de retrouver ma femme et mon fils que j’avais quitté lorsqu’il avait trois mois. Il m’a raconté maintenant de longues histoires, et saute et danse et chante – Il sait déjà ses notes !
[Sa maman se joint à moi pour vous présenter toute notre respectueuse sympathie.
Pierre Tesson]
[4]Charles-Marie Widor (1844-1937), compositeur, organiste, professeur de composition musicale, contrepoint et fugue au Conservatoire de Paris.
[5]Pierre Tesson s’adresse à Nadia et Lili Boulanger.
[6]Blair Fairchild (1877-1933), compositeur et diplomate américain. Il fut le trésorier du Comité franco-américain durant la guerre auprès de Nadia et Lili Boulanger.
[7]Infanterie.
[8]Du 21 au 23 août 1914.
[9]Le 29 août 1914.
[10]5-12 septembre 1914.
[11]Abri du poilu.
[12]Gustave Cloëz (1890-1970), chef d’orchestre et pianiste.
[13]Peut-être le chef d’orchestre Camille Chevillard (1859-1923) ?
[14]Bataille de l’Artois (9 mai-25 juin 1915).
[15]Ancien directeur du Conservatoire de Paris (1896-1905), Théodore Dubois (1837-1924) était également le prédécesseur de Charles-Marie Widor dans la classe de composition.
[16]Jules Massenet (1842-1912).
[17]Léo Delibes (1836-1891).
[18]Henri Büsser (1872-1973).
[19]Louis Fourestier (1892-1976), violoncelliste, compositeur et chef d’orchestre.
[20]José Maria de Heredia (1842-1905), dont « La Sieste » est un sonnet tiré des Trophées.
Translation (EN)
Note: the gaps in the text (indicated by italics enclosed in square brackets) have been filled with the help of the autographed letter preserved in the Music Department of the Bibliothèque nationale de France, Rés Vm Dos 88 (6), folios 152-153.
TESSON Pierre (Widor[1]) Musician
29 January 1916.
What a delightful idea on your[2] part: to undertake the task of collecting news from your camarades [classmates] to share with us. I am not surprised to see that this project has the support of Mr. Blair Fairchild.[3] I have not yet had the pleasure of being introduced to him, but my friend Feuillard has already told me of his generous concern for French musicians.
I was called up at the start of the war and posted to the [119th Infry[4]] as a stretcher-bearer – I took part in the fight[ing at Charl]eroi[5] and Guise,[6] going missing during the retreat, and even being presumed dead! – after the Marne,[7] my regiment found a peaceful spot for itself, and I had some delightful times. Some company officers – men of letters, artists, even musicians – made very agreeable companions, and for a while my dugout[8] was the most fashionable salon for conversation; and so, in beautiful natural surroundings and a peaceful, highly intellectual atmosphere, I found it easy to write a few little pieces for piano four hands, two piano[s and] cello, and even orchestra. On Sundays, when we were off duty, the division doctor would have musicians from round about meet in the temporary hospital, and we would regale ourselves by playing music of our choice on a fine Pleyel piano. It was there that I had the pleasure of a reunion with Gustave Cloëz,[9] whom I knew from the accompaniment classes, and a few more men who had been musicians in the Colonne Orchestra in civilian life, as well as Chevillard[10] from the Opéra-Comique. Then came the May 1915 offensive[11] – the big one! Our regiment joined in the fun, which meant a few changes to my lifestyle – no more music, no more lengthy discussions about art and literature under the pines or in the study of our great teacher Théodore Dubois in Champagne![12] Being a stretcher-bearer was very hard and extremely dangerous. I don’t regret having been put to such a test – as a result I have been wearing the Croix de guerre since 11 July 1915. I was awarded this honour by our colonel for caring for the company’s wounded, single-handed, during a bombardment that went on for 96 hours with no let-up. Once that ordeal was over, I was fortunate enough to be accepted into the regimental band. To say that we have an easy life now would be an exaggeration – during the last offensive (in September) we had to go back on stretcher-bearer duty and face more days of horror. However, when the regiment is in the trenches, we usually spend our time pr[e]paring concerts intended to entertain the troops and keep up their excellent morale, which we play during rest breaks. These concerts are most interesting and also very popular. Our bandmaster, an excellent musician, puts together some very attractive programmes in which the names Saint-Saëns, Massenet,[13] Reyer, Delibes,[14] Charpentier or Büsser[15] appear alongside the great classics. Apart from that, when we find some stringed instruments, we pounce on them with delight. That was how, after writing a fantasia for piano and orchestra, I came to have the pleasure of conducting a performance of a complete symphony orchestra. Fourestier[16] frequently happens to be in the vicinity, and he often does us the great kindness of joining us to play some piano pieces – as you can see, we don’t lack for music.
I recently finished writing a symphonic poem (based on La Sieste by Heredia[17]) for wind instruments, which the bandmaster had asked me for, and he was kind enough to me take the baton for this piece.
You asked for some anecdotes, but this letter is already rather long, and I do not wish to strain your indulgence any further. I shall tell you some stories another day, if you like. I would just like to say that my morale is very good – the leaves of absence help with that, as they allowed me to see my wife and son, whom I left when he was three months old. He told me long stories, and he jumps and dances and sings. He already knows his notes!
[His mother and I would like to express our deepest sympathy.
Pierre Tesson]
[1]Charles-Marie Widor (1844-1937), composer, organist, and teacher of musical composition, counterpoint and fugue at the Paris Conservatoire.
[2]Tesson is writing to Nadia and Lili Boulanger.
[3]Blair Fairchild (1877-1933), composer and American diplomat. He was treasurer of the Franco-American Committee during the war, working with Nadia and Lili Boulanger.
[4]Infantry.
[5]From 21 to 23 August 1914.
[6]29 August 1914.
[7]5-12 September 1914.
[8]Shelter for soldiers in the trenches.
[9]Gustave Cloëz (1890-1970), conductor and pianist.
[10]Possibly the conductor Camille Chevillard (1859-1923).
[11]Battle of Artois (9 May-25 June 815).
[12]Former director of the Paris Conservatoire (1896-1905), Théodore Dubois (1837-1924) was also the predecessor of Charles-Marie Widor in the composition class.
[13]Jules Massenet (1842-1912).
[14]Léo Delibes (1836-1891).
[15]Henri Büsser (1872-1973).
[16]Louis Fourestier (1892-1976), cellist, composer and conductor.
[17]José Maria de Heredia (1842-1905), whose sonnet La Sieste is from the volume Les Trophées.
Source
Pierre Tesson (29 January 1916) Letter to the Franco-American Committee, in: Gazette des classes de composition du Conservatoire, No. 2, Paris, February 1916, Bibliothèque nationale de France, Music Department, Rés Vm Dos 88 (1), p. 22 [on line]. View on Gallica.
Document description: mimeographed document in violet ink, 21×27 cm.
Catalogue: http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb43639008g
Bibliography
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Lafon, Alexandre (2008) “Être camarade. Identité(s) et liens de sociabilité dans l’armée française (1914-1918)”, in Bouloc, François, Cazals, Rémy and Loez, André (eds.) : Identités troublées 1914-1918: les appartenances sociales et nationales à l’épreuve de la guerre, Toulouse: Privat, p. 33-46.
Lafon, Alexandre (2014) La camaraderie au front. 1914-1918, Paris: Armand Colin.
Loez, André (2008) “Autour d’un angle mort historiographique: la composition sociale de l’armée française en 1914-1918”, Matériaux pour l’histoire de notre temps, No.91, p. 32-41.
Mariot, Nicolas (2013) Tous unis dans la tranchée? 1914-1918, les intellectuels à la rencontre du peuple, Paris: Le Seuil.